Une valse avec Bojangles
- roxaneduboz
- 11 févr. 2016
- 4 min de lecture

J’ai un faible pour En attendant Bojangles, le premier roman d’Olivier Bourdeaut. J’ai même un coup de foudre, un coup de cœur, un coup de tête. En cette semaine de saint Valentin, et pour parler d’une histoire d’amour dans ce billet, je me permets cette série d’expressions, il est vrai assez faciles…
C’est un ami qui m’a prêté le livre, après avoir été profondément touché. Touché au point de souhaiter partager cette émotion, au point de me tendre l’ouvrage une après-midi de révisions, sans me laisser le choix. Il me dit que c’est publié par Finitude, une petite maison d’édition au catalogue varié et exigeant, que tout le monde commence à en parler de ce bouquin, qu’il est en lice pour plusieurs prix (le grand prix RTL-Lire, le prix France culture-Télérama…), que la presse est très, très élogieuse. Je me laisse porter, et quelques jours après, à la faveur d’un long voyage en train, je tourne les premières pages d’En attendant Bojangles.
J’ai peur d’en dire trop, ou pas assez. C’est compliqué d’écrire sur un coup de foudre. Souvent, on aime et c’est comme ça, ça existe, se passe d’explication, d’analyse. J’aurais pu me filmer en train de sourire, en train de pleurer, je pourrais recopier certains passages, ce serait plus authentique. Car Bojangles parle à nos sentiments et provoque l’émotion, avant toute autre chose…
Tout part d’une phrase, juste assez mystérieuse et intrigante : «Ceci est mon histoire vraie, avec des mensonges à l’endroit, à l’envers, parce que la vie c’est souvent comme ça.»
Et l’histoire commence. C’est l’histoire d’un couple délicieusement décalé, qui respire l’humour et l’amour, et dont la vie nous est racontée par leur petit garçon. Parfois, la narration change, et le père prend le relais du récit. La mère est le point central de l’histoire, étoile loufoque qui irradie de lumière et de poésie. Elle n’est pas banale, change de prénom tous les jours et vouvoie tout son entourage, mari et enfant compris. Ils se sont rencontrés, aimés, mariés dans la foulée, comme une évidence. Lui aussi a ce goût de la fantaisie, du travestissement du réel. Ensemble, ils ont un enfant, un grand appartement où l’on réunit de vastes tablées, où l’on danse, où l’on ne s’ennuie jamais. Ils achètent un château en Espagne pour prouver à leurs convives qu’il ne s’agit pas que d’une expression. Ils y passent des séjours teintés de soleils, de cocktails et de feux d’artifices, embarquant avec eux leur oiseau de Numidie, Mademoiselle Superfétatoire. Ils se chargent seuls de l’éducation de leur fils, l’école refusant de s’adapter à leur mode de vie. Leur amour s’épanouit dans une existence poétique, guidée par l’enthousiasme du père et les frasques toujours plus délirantes de la mère. C’est elle qui mène la danse, qui entraîne époux et enfant toujours plus loin de la banalité du monde réel.
Mais peu à peu la folie douce se durcit, assombrit le quotidien au lieu de l’éclairer comme jadis. Il faut alors lutter pour préserver l’univers familial, le cocon protecteur. Main dans la main, le père et son fils relèvent le défi, pour qu’au son des pianos, pour qu’au bord des routes qui mènent en Espagne, la danse continue.
Il y a quelque chose de Fitzgerald avant la tristesse, dans l’insouciance des jours vécus par ce trio familial attendrissant. Il y a aussi la musique, et surtout celle qui se construit comme un personnage à part entière, qui donne son âme au roman : «Mr Bojangles» de Nina Simone, que j’ai évidemment écouté, et découvert, tout en lisant. Ce morceau, c’est l’arrière-plan mélancolique, l’amertume derrière la fête, un pré-sentiment malheureux, et c’est en même temps la lumière et la pureté jusqu’au bout, émanant de la voix chaude de Nina Simone. Car même quand le roman glisse peu à peu vers sa fin, qu’on devine moins légère, l’écriture reste aérienne, l’atmosphère belle et comme dorée. L’écriture d’Olivier Bourdeaut, c’est une caresse qui laisse le souvenir d’une gifle.
J’ai eu un coup de foudre pour cette histoire d’amour fou et d’amour des fous. Ce roman réchauffe le cœur au milieu de l’hiver : il vous plaira à vous qui ne jurez que par les prix Goncourt, il vous plaira aussi à vous qui dévorez les romances d’un Levy ou d’un Bussi. Car il parle à l’âme d’enfant que nous avons tous gardé quelque part, celle qui sait rire, et pleurer et danser sans tout analyser.
J’ai eu un coup de cœur pour une prose poétique, même si je ne ferai pas la comparaison souvent lue et entendue, à savoir qu’Olivier Bourdeaut s’inscrit dans la lignée de Boris Vian. A mon sens, l’univers poétique de L’Ecume des jours, car c’est souvent l’oeuvre qu’on évoque, procède du langage et de son décalage avec l’usage conventionnel ; or c’est bien plus des personnages, déjantés et profondément anticonformistes dans Bojangles, que découle toute la fantaisie. Toutefois, la prose d’Olivier Bourdeaut se lit et se dit. Elle est musicale et regorge de vers blancs, de rimes cachées, elle témoigne d’un souci du rythme et de la mélodie.
J’ai eu un coup de tête, enfin, qui m’a fait traverser tout Paris pour rencontrer Olivier Bourdeaut, mardi soir au Comptoir des mots, une belle librairie rue des Pyrénées. Pourtant, je me doutais qu’il ne dirait rien de bien différent de ce que j’avais déjà entendu de lui à «La grande librairie» sur France 5, et ce fut effectivement le cas. Mais ce coup de coeur littéraire, ce coup de foudre pour ce couple, je les avais aussi partagés avec ma mère, et elle m’avait demandé une dédicasse. C’est chose faite. J’ai aussi rencontré un jeune auteur humble, encore un peu gêné face à son public et surtout reconnaissant d’un succès qui lui tombe dessus comme dans un conte de fées, après, selon ses dires, «trente-cinq ans d’échec dans à peu près tout».
L’auteur sympa en sommes! Tellement sympa qu’il m’a promis de lire ce billet… Du bas de mes vingt-deux ans et de mon petit sens à peine critique, je souhaite bon vent à Olivier Bourdeaut et à son Bojangles, en attendant déjà impatiemment son deuxième roman, en cours d’écriture.
Lien vers l'article original : Le 19.29
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