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Les songeurs du 9 mars

  • roxaneduboz
  • 14 mars 2016
  • 2 min de lecture

Ils étaient nombreux, mercredi dernier sur le boulevard Voltaire. Cette grande avenue qu’ils ont cru pouvoir nous empêcher d’arpenter, en une foule compacte, serrée. Nous étions jeunes, d’autres plus vieux, et j’ai eu durant ces quelques heures ce sentiment presque perdu, de bien loin revenu, celui d’une ivresse plus belle que celles qui sont artificielles.

J’ai retrouvé la foule qui dit non mais qui le dit en chantant, les sourires et les rires de ceux qui ne renoncent pas, et la confiance aussi, car ensemble on est plus grand, plus fort, ensemble on n’est pas seul et on ne nous moque pas, on ne se justifie pas. Nous savons. Ils pourront – vous pourrez – argumenter encore, invoquer des raisons que je suis trop jeune pour comprendre, trop peu renseignée et puis surtout, surtout dites-le, car vous le direz, une fois de plus vous direz ce mot, utopiste. Vous le direz, idéaliste, tu le diras, que l’idéal n’existe pas, que « ma » société est un rêve et que les rêves sont faits pour être songés, ou bien pour être écrits, écris les donc ces rêves, écrire tu sais le faire. Et ça ne fera pas de mal. Et ça ne changera rien. Oui on me le dira encore. Que je ne changerai rien.

Mais il n’y a pas que le rêve. Il y a ceux qui les font. Mercredi Chloé a sorti de sa poche des craies de couleur et avec les couleurs sur le sol gris les mots ont dit Il faut que le songeur soit plus fort que le rêve. La phrase la vraie c’est le grand Victor qui l’a écrite, dans un texte philosophique, Promontorium somnii, Le promontoire du rêve, «Il faut que le songeur soit plus fort que le songe. » Les songeurs c’est pas une idée, c’est pas une volute de fumée. Les songeurs c’est des gens, des gens qui existent comme toi comme moi, comme ceux qu’on veut faire passer pour des vieux cons, des « dinosaures » ils disent parce que rêver c’est démodé et c’est pas la vraie vie… Mais ceux qui rêvent ils sont là, avec de la peau et des os, parfois ils se marrent bien ils boivent des coups entre copains, ils passent des heures d’amour, d’autres fois ils ont les boules, ou bien ils chopent une crève car c’est l’hiver, un coup de cafard, pis on dit même que certains des fois ils ont faim, mais la vraie faim de la fin, du mois. Ces gens-là ils font pas que rêver. Ils portent leur songe avec eux dans la rue, ils l’écrivent sur des réseaux sociaux, ils le crient des fois et quand ils galèrent trop alors ils disent non, le rêve devient grève, ils envisagent le futur avec sérieux, c’est pas devant la télé qu’ils rêvent, les songeurs du 9 mars.

C’est dans un coin de leur tête, une présence, et certaines fois ça se réveille. Comme un sursaut.

Et peut être qu’un jour, à force de décrets discrets et de discours velours, ça suffira plus de vouloir rêver à voix haute.

Et les songeurs se souviendront que la France pays du rêve fut aussi celui de la Révolution.

Lien vers l'article original : Le 19.29

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