Le sport comme résistance à la peur?
- roxaneduboz
- 4 août 2016
- 2 min de lecture
Avec Charles Roehrich et sous la direction de Mr Frédérick Casadesus, journaliste à l'hebdomadaire protestant d'actualité Réforme. Numéro spécial 80 ans du Front Populaire.

Cet été en France, le championnat d’Europe de football a su diviser, faire monter en puissance la voix des cyniques et celle des chauvins un peu trop excités. « Ce sport jadis populaire s’est fait acheter par les histrions du capitalisme mondial! », ou encore : « Après les Allemands, on va bouffer du Portugais! »... Les exclamations ont fusé de tous côtés, et les débordements ont parfois tourné à la violence gratuite. Loin de ces passions, en position d'observateur, on peut regretter l’avènement de ce Guy Debord, dans un ouvrage qui a fait date, a appelé la « société du spectacle ». On peut pleurer sur la haine des fous des stades, tout comme on peut blâmer ces milliers de regards braqués sur les écrans aux premières chaleurs estivales. Mais l'ont peut surtout, avec le recul de notre histoire nationale, repenser la place du sport dans notre société. C'est une question délicate qui a toujours partagé.
Il est difficile de la soulever indépendamment de toute idéologie. Le sport que l'on fait, celui que l'on pratique : lequel est le « bon » ?
Il y a quatre-vingt ans, au sein du gouvernement du Front populaire, Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État aux sports et à l’organisation des loisirs, défend une vision démocratique et émancipatrice de l’activité physique. En réaction aux jeunesses hitlériennes, cet ancien Éclaireur de France refuse d’embrigader par le loisir populaire, en faisant du sport un « moyen de ne pas penser ». Il soutient l'organisation des Olympiades populaires de Barcelone, qui se veulent être un contrepoint aux jeux Olympiques de Berlin. A la chambre des députés, en 1937, il déclare au nom du gouvernement : « Notre souci est moins de créer des champions et de conduire sur le stade vingt-deux acteurs devant 40 000 ou 100 000 spectateurs, que d'incliner la jeunesse de notre pays à aller régulièrement sur le stade, sur le terrain de jeux, à la piscine. »
Imaginons Léo Lagrange assistant au championnat d'Europe en 2016. Smartphones brandis en étendard à chaque but réussi, sportifs surpayés et portés aux nues, esprit de compétition - voire de vengeance - des supporteurs, omniprésence médiatique du ballon rond... Il est facile d'imaginer ce grand homme de gauche désorienté dans notre siècle, où l'on cherche parfois désespérément des restes de valeurs éthiques.
Mais l'intellectuel socialiste que fut Léo Lagrange, partisan de l'unité populaire face au danger du nazisme grandissant, a prononcé aussi cette belle phrase : « Nous voulons que l'ouvrier, le paysan et le chômeur trouvent dans le loisir la joie de vivre et le sens de leur dignité. »
Dans son discours du 10 juin 1936, c'est un homme proche du peuple, conscient de ses difficultés et tourmentes du quotidien, qui s'exprime. S'il nous est permis de rêver, alors on peut penser qu'il aurait su voir aujourd'hui encore une nation vivante, vibrant à l'unisson sous les couleurs de son drapeau, au-delà des barrières culturelles, sociales et ethniques.
Et oubliant, dans le spectacle réconfortant d’une jeune équipe française métissée, la peur d’une nouvelle guerre à venir.

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