Nec mergitur
- roxaneduboz
- 16 avr. 2019
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 janv. 2021
Tout autour de l’île, la foule est lente et les regards convergent vers la vieille dame de pierre, noircie et mutilée. Peu de paroles, comme une communion. C’est donc cela aussi, être Paris. C’est vivre ces drames qui rassemblent, c’est être un de ceux qui passent en ce lieu, un lieu soudain changé. C’est l’image incroyable d’une flèche tombée, c’est l’annonce si peu réelle, c’est l’effroyable nouvelle.
Dans la foule lente de Paris, je suis, avec eux, un peu de cette cathédrale abîmée. Je suis ces regards angoissés face à l’œuvre d’un fou sans mesure, face au grand incendie, dans le froid, devant les postes de télévision, sur les unes des journaux. Je suis « Paris ». Et je pense à ce que c’est, d’être Paris.
Je suis, quelques années en arrière, une bière amère et une rose déposée à République. Je suis dans la foule qui marche contre la barbarie d’un autre temps. Je suis Charlie. Je suis cette amie, je suis un verre pris en terrasse quand il ne fallait pas avoir peur. Je suis des bougies allumées pour nos morts. Je suis le boulevard Voltaire, je suis le 13 novembre, je suis le Bataclan. Fluctuat nec mergitur ; je suis de ceux qui ont découvert le slogan. Je suis Paris quand la Seine déborde, et que perdue, par deux fois, je manque de me noyer. Mais je suis Paris en d’autres temps. Je suis, nous sommes, une grande maison pleine d’étudiants. Je suis les samedis soirs aux contours flous, je suis la piste de danse, je suis les éclats de rire. Je suis mes vingt ans. Je suis les musées et les bancs de l’université. Je suis des luttes, et des chants et des bannières, je suis d’âme révolutionnaire, je suis un café partagé avec un homme inspirant. Je suis l’humanité en festival. Je suis des repas offerts aux autres, ils sont les mots qui réchauffent. Je suis les soleils, les pelouses et les terrasses. Je suis amoureuse, je suis le chat noir croisé au coin de la rue Titon. Paris me parle espagnol, je suis Paris vue avec ses yeux. Je suis, nous sommes, les danseurs et l’alcool, nous sommes les nuits sans sommeil et les rencontres accidentelles ; je suis sur les plus beaux ponts traversés à vélo, je suis un lever de soleil et une photo prise au petit matin, je suis cette lumière incroyable regarde…
Je suis Paris, depuis plus de cinq années, je suis la ville terrifiante et magnifique que j’ai appris à aimer.

Photo : 9.03.14
Comments